“Bart De Wever, dis-moi pourquoi tu refuses, La Dernière Heure, Sam. 27 jan. 2018, Page 12

Rencontrée hier à Bruxelles, Evelyn Fine, arrivée la veille de Washington avec, dans ses valises, sept pavés cuivrés. Sept pavés pesants. Moins pesants toutefois que ce que chacun représente.

Tout à l’heure, à midi, Evelyn sera à Anvers. Elle avait espéré obtenir un feu vert. Mais “Mister De Wever” , qu’elle prononce à l’américaine, n’a pas donné son accord.

En fait, Bart De Waver n’a même pas daigné lui répondre : Anvers est la seule ville en Belgique à ne pas autoriser que la mémoire des victimes du nazisme soit rappelée par des pavés de mémoire placés dans les trottoirs.

Selon l’Association pour la mémoire de la Shoah, on compte 65.000 pavés en Europe dont 250 en Belgique où quarante supplémentaires seront placés dans les six mois et cent de plus sont en demande.

Seule villle à les refuser : Anvers. “C’est quoi, le problème, cherche à comprendre Evelyn ? Est-ce lié au passé de la ville, la seule dont la police a reçu l’ordre du bourgmestre collaborationniste Leo Delwaide de rafler les Juifs ? Celle dont le plus fort taux de population juive, 65 %, a péri dans l’Holocauste ? C’est quoi le problème ? Est-ce la difficulté d’assumer ce passé ou est-ce lié aux opinions de M. De Wever.”

Dans son hôtel à Bruxelles, hier midi, Evelyn Fine étale des photos jaunies. Rebecca, Elias, le jeune Siegfried, Leja, Anna, Nico, Zelik. L’histoire de chacun. Rebecca, sa grand-mère paternelle disparue dans les fours d’Auschwitz-Birkenau. Siegfried qui avait 13 ans. Leja, la musicienne virtuose au piano. Elias, l’ingénieur.

Cinq furent raflés à Anvers au 5, Velodroomstraat. Anna et Nico le furent au 144, Lange Leemstraat. Le projet d’Evelyn était d’incruster les pavés dans les trottoirs des deux adresses, leurs derniers domiciles. Sans autre but que celui de rappeler que d’ici, des gens sont partis pour l’enfer. Et que c’était il n’y a pas si longtemps. Evelyn n’a d’ailleurs pas choisi la date au hasard. Il y a soixante-treize ans aujourd’hui que l’Armée rouge libérait Auschwitz.

Notre Américaine est venue seule de Washington. Nous lui demandons : “Votre fils, il vous a dit quoi en vous déposant à l’aéroport ?” Evelyn rougit : “Il m’a dit : Bravo Maman.”

Anna dont le nom est gravé sur un des pavés, écrivait des poèmes. Tout à l’heure à 12 h 30, Evelyn lira le dernier.

Puis, Yasha Deleeuw, qui concourt à The Voice Belgique, interprétera la chanson Comme toi , de Jean-Jacques Goldman.

Et si les choses voulaient que Bart De Wever se trouve dans le public, que lui dirait Evelyn Fine ? “Vous croyez qu’il pourrait se montrer ? Eh bien, je lui expliquerais que j’ai fait ce chemin pour placer des pavés pour ma famille dans la ville de ma famille. Pourquoi refusez-vous, mayor ? Donnez-moi une raison.”

Evelyn dit avoir envoyé des dizaines de courriers pendant des années dans tous les services de la Ville. Aucun n’a eu de réponse. Michel Lussan, de l’Association pour la mémoire de la Shoah, pense que Bart De Wever

tire prétexte du fait qu’une minorité juive hassidique n’est pas favorable aux pavés de mémoire.

Evelyn est douceur. L’Américaine n’a pas l’esprit guerrier. Mais ses mots sonnent juste.

Puisqu’Anvers refuse ses pavés, elle les ramènera à Washington, expliquera qu’il y a en Europe un endroit qui n’en veut pas et les confiera au Holocaust Memorial Museum. Son combat continuera. Parce qu’elle veut qu’un jour, ces sept pavés se trouvent là où ils doivent être.

Gilbert Dupont